Histoire et Géographie

Faire vivre la laïcité avec les élèves

 

Conférence-échanges sur la LAÏCITÉ

avec Emmanuel NAQUET

 

7 octobre 2015/ LGT Sonny Rupaire/ Académie de la Guadeloupe

Laïcité à la française ou laïcité française ?

Aperçus historiques

 En introduction 

       Certains acteurs du débat public comme certains analystes parlent de laïcité française comme d’autres préfèrent l’expression laïcité à la française. Omniprésente dans les discours depuis longtemps, elle revient au-devant de l’actualité, notamment suite aux attentats de janvier 2015 qui ont visé des journalistes, des policiers, des juifs. Ces attaques meurtrières ont pu entraîner des réactions identitaires et sécuritaires.

Quels enjeux en matière d’enseignement ? Dans le domaine de l’éducation, apparaissent des aspirations à retravailler sur la notion de laïcité en évitant les amalgames entre islamisme et religion musulmane par exemple.

La mise en rapport entre laïcité, désécularisation et retour du religieux relève d’une analyse complexe.

Certains sociologues parlent d’un retour au « furieusement religieux ». D’autres, au contraire, pensent que la sécularisation continue, mais sous des formes différentes ; qu’on aborde en fait une période de transition.

La thèse de Jean Baubérot met au contraire l’accent sur la sécularisation, insiste sur une notion plurielle, et sur la laïcité ouverte.

Quoiqu’il en soit, la laïcité fait partie de notre identité nationale.

 

  1. Précisions de vocabulaire : laïcité, sécularisation, déchristianisation, laïcisation

 L’origine du terme laïcité : est laïc ce qui n’est ni ecclésiastique, ni religieux (laïcus : commun du peuple, clericus : ecclésiastique). Un terme qui apparaît pour la 1ère fois en 1871 à propos de l’enseignement scolaire, mais le terme ne figure pas dans la loi de 1905. À ne pas confondre avec la sécularisation.

La laïcité est la perte d’emprise de la religion sur la société. Elle est le refus de l’assujettissement du politique au religieux.

Elle ne doit pas être confondue avec la sécularisation qui est le passage au séculier, se manifestant par un processus de recul des manifestations religieuses. Elle aboutit à une neutralisation de ces manifestations reléguées dans la sphère privée.

À ne pas mélanger non plus avec la déchristianisation : le recul des pratiques religieuses chrétiennes.

La société, de moins en moins structurée par la paroisse ou par les fêtes religieuses, est de plus en plus porteuse des valeurs profanes. L’effacement de la religion peut même se mesurer par la baisse des ordinations des prêtres ; bref, il s’agit d’un recul de l’imprégnation religieuse. La sécularisation aboutit donc à un « désenchantement du monde » (Max Weber), un monde qui devient de plus en plus rationnel.

La laïcisation est différente (voir Émile Durkheim) : il s’agit d’une politique. Les institutions s’autonomisent par rapport à la religion et se dotent de règles de fonctionnement propres. Certains sociologues complexifient et parlent de sécularisation manifeste et latente qui en serait le résultat. En fait, les deux phénomènes sont liés et peuvent se chevaucher. Dans les deux cas, on décrit un phénomène social, culturel, symbolique aussi pour la sécularisation. On insistera sur le fait que la laïcisation est un phénomène de mise à distance volontaire.

Tous ces phénomènes s’inscrivent dans un contexte de pluralisme religieux et ne touchent pas que l’Église chrétienne.

 La laïcisation française est particulière :  

C’est un processus fort, dominant par rapport au phénomène de sécularisation, par exemple à la différence de la Grande-Bretagne. Cela s’explique par :

  • Le poids de l’État centralisé, omniprésent quels que soient les régimes,
  • Le rôle des ordres (avant 1789) ou des classes sociales qui sont plutôt favorables à une sécularisation,
  • L’influence du libéralisme qui voit de manière négative tous les acteurs qui mettent des freins aux libertés individuelles.

 Un État qui se laïcise est un État qui se modernise, il prend le relais de fonctions sociales assurées auparavant par l’Église, avec par exemple :

  • la prédominance du mariage civil sur le mariage religieux
  • la création d’une santé d’État
  • la création d’un enseignement public, gratuit, laïc et obligatoire, conçu par opposition avec un enseignement congréganiste.

Jean Baubérot parle de « seuils » : les phénomènes de sécularisation ont commencé avant la Révolution française et se poursuivent même après 1905.

 Trois « seuils » : La Révolution française, l’avènement de la IIIe République, les IV et Ve Républiques

 On n’est pas sur des coupures radicales, mais sur des glissements progressifs.

 Sous l’Ancien Régime, le poids de l’Église catholique est déterminant, une Église qui structure les communautés religieuses sous l’autorité papale. Disposant d’importants pouvoirs, elle domine largement en France et participe à la construction de l’État-nation.

Mais dès avant 1789, il existe pourtant des particularités :

Le gallicanisme : à le suivre, l’Église de France a une certaine autonomie par rapport à l’autorité du pape. Des évêques ont même soutenu les rois de France contre des décisions du pape. L’épisode des papes en Avignon est, à cet égard marquant. Du côté des rois, des principes de tolérance qui ne sont pas toujours appréciés des souverains pontifes (cf. l’Édit de Nantes).

Des formes de laïcisation avant 1789 ont pu exister : mariage civil des protestants par exemple.

 Premier « seuil »: la rupture de la Révolution Française, à la suite du siècle des Lumières et des réflexions de Voltaire (déiste) et de Diderot (athée), et de certains épisodes de retour en arrière (révocation de l’Édit de Nantes en 1685).

 

Le texte essentiel est la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen :

L’article 10 pose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Un article fondateur, mais un échec en 1789 pour les partisans de la liberté de conscience (liberté de croire ou de ne pas croire), la DDHC étant votée sous les auspices de l’Être Suprême… Cependant, les  constituants savent bien que les droits naturels et politiques ne sont pas du fait d’un Dieu (au contraire des rédacteurs de la Déclaration d’indépendance américaine)…

L’article 3 confirme la laïcisation du pouvoir. Le roi n’est plus roi de droit divin.

Certains historiens parlent d’une « première séparation ». Un terme sans doute trop fort, mais ce qui est sûr c’est qu’il y a une réorganisation de la société avec la Constitution civile du clergé en 1790, acceptée par Louis XVI mais refusée par le pape.

Elle conduit à la mise en place de deux clergés : les jureurs ou constitutionnels (christianisme bleu) et les réfractaires qui refusent de prêter serment, correspondant à la moitié des prêtres et à la grande majorité des évêques. Les prêtres deviennent des officiers civils rémunérés par l’État, ils peuvent être électeurs, élus, devenir officiers municipaux (mais pas maires). La Constitution civile met aussi en place la laïcisation de l’État civil et institue le divorce (supprimé en 1816 avant son rétablissement par la loi Alfred Naquet). Elle s’accompagne d’un début de la déconfessionnalisation de l’enseignement et de l’assistance, d’une nationalisation des biens du clergé, de la suppression des congrégations, de l’interdiction des vœux monastiques perçus comme une aliénation. Les révolutionnaires veulent moderniser l’Église.

La Révolution française accompagne la déchristianisation et la sécularisation par une laïcisation. Cette laïcisation n’est pas forcément pacifique : notamment avec la fermeture des églises en 1793 ou le décret contre les prêtres réfractaires dans le contexte d’une révolution en guerre.

 La question des protestants et des juifs : la Constitution civile du clergé garantit aux protestants le droit d’exercer leur culte. En revanche, les juifs sont interdits d’État-civil et sont maintenus dans une « nation » juive. On demande aux Juifs de ne pas professer en public leur religion. C’est seulement quelques jours avant la séparation de la Constituante, en décembre 1791, que les Juifs deviennent des citoyens, ils doivent prêter un serment. Il n’y a donc pas de dimension universelle.

 - En 1795 la Convention thermidorienne vote un décret sur la liberté des cultes (21 février 1795). Il comporte beaucoup de points communs avec la loi de 1905, certains historiens parlant même de « 1ère séparation ». Le principe de liberté des cultes est rétabli, aucun culte n’est salarié, les églises (bâtiments) peuvent être partagées entre les cultes. Mais à partir de 1796 débute la Terreur blanche avec des pratiques anticléricales très fortes.

À la fin du Directoire, l’Église catholique a subi d’importants coups : laïcisation, désorganisation administrative… Le Concordat de 1801 s’inscrit par conséquent dans une France moins religieuse, dans laquelle l’Église est largement troublée comme le montrent les rapports d’évêques décrivant des paroisses vides, des lieux de culte endommagés…). Bonaparte prend conscience d’une nécessaire pacification, convaincu qu’il est que la religion est nécessaire pour la stabilité de la société. Il abandonne dès lors toute idée de séparation et veut dépasser le schisme religieux en signant un compromis entre la République et le pape. On sort de la Constitution civile du clergé : la religion catholique est « la religion de la majorité des Français ». L’Église accepte cette situation. La perte des biens nationaux est actée mais le concordat ne sépare pas les Églises et l’État. Les religions voient leurs cultes reconnus (pluralisme religieux), les prêtres catholiques sont salariés et prêtent serment au gouvernement.

Ce qui n’empêche pas des tentatives de contrôle : 1803, catéchisme consulaire, contrôle du recrutement du clergé, puis création d’un ministère des Cultes en 1804… Mais la religion est dans l’État et non l’État dans la religion.

  À partir de 1814-1815, la Restauration met en place une politique de protection de la « vraie » religion. Il s’agit de revenir sur la déchristianisation (« l’éloignement d’avec Dieu »), et de renouer avec une politique d’alliance entre le trône et l’autel. La charte de 1814 affirme ainsi que la religion catholique apostolique et romaine est la religion de l’État.

Pourtant, la Restauration ne remet pas en cause le Concordat, et la liberté des cultes est maintenue, le pluralisme religieux toujours reconnu. L’État-civil n’est pas remis au clergé.

Le catholicisme reprend une certaine vigueur  avec la mise en place des missions d’évangélisation, les érections de croix, le rétablissement des jésuites et l’interdiction du divorce en 1816. On observe une multiplication des ordinations et des congrégations religieuses, la philosophie doit être enseignée par les prêtres, et la peine de mort est instituée pour toute profanation des instruments du culte (loi sur les sacrilèges de 1825).

 En revanche, la monarchie de Juillet, à partir de 1830, est largement laïcisée. Les crucifix sont retirés des prétoires, certaines processions sont interdites, on note une mise à distance des relations avec le Vatican. Parallèlement, le catholicisme connaît des développements d’ouverture : encore minoritaire, le catholicisme social se développe (Montalembert…) pour lequel les termes d’Égalité, de Liberté et de Fraternité sont l’aboutissement du message des Évangiles.

La loi Guizot de 1833 sur l’instruction primaire doit se lire dans une complémentarité voulue entre l’État et les Églises pour diffuser avant tout l’instruction primaire : l’intégration du catéchisme dans l’enseignement relève d’une ambiguïté jugée alors nécessaire.

Sous la Seconde République, la loi Falloux en 1850 fixe le principe d’une école de garçons dans toutes les communes et d’une école de filles pour les communes qui en ont les moyens. Prolongement de la loi Guizot, elle met en complémentarité l’enseignement public financé par l’État et l’enseignement dit libre. Les congréganistes ne peuvent enseigner que s’ils sont titulaires du baccalauréat.

 Enfin, sous le Second Empire, des critiques très fortes se font jour sur la place de la religion, dans un contexte de développement du scientisme et du positivisme (impact de la publication de La vie de Jésus d’Ernest Renan, 1863). Deux France se côtoient.

Parallèlement Pie IX publie le Syllabus (sur les erreurs de la société moderne) en 1864, et du concile Vatican I en 1870 sort le dogme de l’infaillibilité pontificale.

La Troisième république est le deuxième « seuil » selon Jean Baubérot :

Les lois Jules Ferry et le rôle de Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire,  illustrent en effet l’étroite relation qui se développe entre École et laïcité.

L’École publique, gratuite, laïque et obligatoire s’appuyant sur une morale laïque est mise en place, mais l’enseignement privé existe toujours, en application du principe de la liberté de conscience. Une école qui a pour objectif de diffuser l’instruction et de faire respecter la liberté de conscience, car elle doit éclairer le peuple, en lien avec le suffrage universel.

En l’occurrence, qu’est ce qu’une morale laïque ? Il doit y avoir un spiritualisme dans cette École, qui doit afficher des règles morales à travers l’éducation morale et civique, il y a aussi l’idée d’une dignité de l’Homme et du citoyen. L’École de Ferry et Buisson, c’est aussi l’enseignement primaire et secondaire des jeunes filles. Des lycées de jeunes filles qui accueillent les plus fortunées certes, mais avec une volonté de vouloir sortir les filles de l’influence religieuse. Ainsi faut-il souligner l’œuvre de Camille Sée. Chaque département doit entretenir une école normale de jeunes filles. Il s’agit, selon Buisson, « d’extirper les femmes des griffes de l’Église ».

La laïcisation passe par la société civile, avec un rôle essentiel des associations, même avant la loi de 1901, comme le montre les créations de la Ligue de l’enseignement et de la Ligue des Droits de l’Homme. C’est important dans un contexte de multiplication des congrégations religieuses qui doivent se déclarer à partir de 1880, mais qui de toute façon sont acceptées (déclaration ou pas). De même, les écoles se multiplient (véritables « palais scolaires ») qui deviennent des lieux de socialisation par excellence. Le budget scolaire est multiplié par quatre.

Nombres de catholiques s’aperçoivent alors que l’École publique offre des possibilités d’ascension sociale que l’Ancien Régime ne permettait pas, et cela dans le contexte de montée de la question sociale.

Les instituteurs deviennent des fonctionnaires d’État, avec l’idée d’une « neutralisation » du  personnel de l’école. Mais le spiritualisme est toujours là puisqu’à la fin du programme les instituteurs doivent enseigner la morale envers Dieu. Et quand la question du crucifix dans les salles de classe se pose, une circulaire de 1882 signée par Ferdinand Buisson spécifie que la loi sur l’école n’est pas une loi de combat, les situations sont réglées au cas par cas.

Toutefois, le système scolaire reste encore largement favorable aux élites.

 Le moment de l’affaire Dreyfus :

C’est une affaire sur les droits individuels qui questionne aussi la place de l’Eglise et la place des minorités juives et protestantes dans la société. Les dreyfusards ont saisi l’influence du journal La Croix et la place de l’antijudaïsme ambiant. Parmi eux, il y a des catholiques libéraux comme Paul Viollet. Leur idée est que l’État doit accepter le pluralisme religieux sans aucune discrimination.

La sortie de l’Affaire est marquée par des moments de tensions : la politique d’Émile Combes fait fermer les congrégations fondées avant la loi de 1901. Le « combisme » (lutte contre l’influence religieuse) n’est pas partagé par Georges Clemenceau ni par Ferdinand Buisson. Un certain nombre de libres penseurs laïcs s’inscrivent dans la tolérance. Le combisme est en fait la volonté de mettre en place une laïcité intégrale ; le combisme est un « laïcisme ». Or la majorité de la classe politique pense que la laïcité ne doit pas être une sorte de « religion nationale ». L’État laïc ne doit être ni omniprésent ni omnipotent. Dans ce contexte on peut comprendre que la loi de Séparation est une loi de pacification et de compromis.

La loi de 1905 (toujours dans le cadre de ce second « seuil ») vient d’un socialiste, issu du protestantisme, Francis de Pressensé, disciple de Jean Jaurès et dreyfusard. Un projet porté par des associations (Ligue de l’enseignement et Ligue des Droits de l’Homme, sociétés de libre pensée, loges maçonniques…). Une loi défendue par Aristide Briand et soutenue par Jean Jaurès, qui s’inscrit dans une attente des républicains avancés mais aussi des modérés de la droite, inscrite dans le programme républicain depuis longtemps.

La loi de 1905 est un texte interne à la France, sans entente préalable avec le pape, même pas après. Aristide Briand est secondé par un protestant et un juif. Briand reprend l’article 4 de la proposition de Pressensé : les congrégations doivent se conformer « aux règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice ».

Cette loi est loin de faire consensus et n’est donc pas adoptée à une large majorité. C’est néanmoins vraiment une loi de pacification. Buisson (contre) et Jaurès (pour) votent la loi, mais ils pensent que les anticléricaux se trompent de combat : à leurs yeux, la priorité est alors la question sociale.

Quant à la réception de la loi par les catholiques, des mouvements d’hostilité ont eu lieu dans l’ouest de la France, et Pie X y est opposé, d’où la rupture des relations diplomatiques rétablies en 1921 seulement, la crise étant sans doute à son apogée avec les inventaires. Mais nombre de catholiques votent républicains depuis le ralliement et les mondes catholique, juif et protestant acceptent globalement cette loi.

Enfin, deux dispositions sont mises en place en 1907-1908 pour régler les questions de liberté d’association religieuse et de financement des édifices religieux par les communes. Du côté du monde enseignant, on pense que de plus en plus que les questions centrales tournent autour de l’obligation, de la mixité, de la pédagogie et que le débat sur la place de la religion à l’école est secondaire.

La loi de 1905 ne s’applique pas dans les colonies et notamment en Algérie.

 - Dans l’entre-deux-guerres, l’idée de ranimer les guerres religieuses est rejetée par l’opinion publique, et le cas du retour de l’Alsace-Moselle non concordataire est particulier. Si le Syndicat national des instituteurs (SNI) veut aller jusqu’à une laïcisation complète de l’école, les enjeux sont ailleurs : montée de l’extrême droite, tensions internationales…

En outre, le monde catholique évolue : en 1926, l’Action française est mise à l’index et en 1926 la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) est créée… 

Troisième seuil, 4ème et 5ème République :

La DDHC est intégrée dans le préambule de la Constitution de 1946, mais aussi la laïcité (une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale »). Les problèmes se concentrent autour de la question de la place et donc du financement de l’école privée, de nombreux affrontements dans la société civile et l’apparition de nouveaux acteurs, comme la FEN ou la FCPE… ; on entre dans un conflit de type « guerre scolaire ».

Ainsi, la loi de 1951, dite loi Barangé, permet-elle aux enfants scolarisés dans le privé de bénéficier de bourses, allocation forfaitaire aux écoles privées par enfant scolarisé. Entraînant une vive réaction face à la dualité du système scolaire. La laïcité est par conséquent ainsi et aussi liée à la question scolaire.

Dans le prolongement, la loi de 1959, dite loi Debré, met en place le contrat d’association pour les écoles privées qui doivent appliquer les programmes de l’Éducation nationale et accepter tous les enfants sans distinction. Les chefs d’établissement ont une liberté de recrutement des enseignants et la loi reconnaît les caractéristiques propres d’un enseignement privé. 

Enfin, la loi de 1977, dite loi Guermeur, rapproche les conditions de salaires et de retraite pour les enseignants du privé et du public, tout en réaffirmant la liberté de recrutement des enseignants dans le privé. 

Cependant, la « guerre scolaire » réapparait dans les années 1980 autour de l’idée de créer un service public unifié laïc, ce qui provoque d’énormes manifestations : la loi remettrait en cause la liberté d’enseignement ; il faut une décennie pour pacifier ces tensions avec Jack Lang : l’école privée est considérée comme un acteur du service public de l’Éducation nationale (accords Lang-Cloupet, 1992-1993).

 

Mais la laïcité ne concerne pas que l’école : elle est en œuvre d’une certaine manière dans la loi sur la contraception, l’IVG, la dépénalisation de l’homosexualité. La laïcité à la française s’inscrit aussi dans le contexte de l’Europe et notamment dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 : la liberté de manifester sa religion ne peut faire l’objet de restriction sauf trouble à l’ordre public.

La laïcité est donc face à d’autres défis :

  • le « retour du religieux », beaucoup plus identitaire dans un temps de fin des idéologies « séculières » ; la religion viendrait combler des vides ; on observerait donc un mouvement pour une certaine dé-sécularisation, marquée par la montée des revendications identitaires et cela dans un nouveau paysage religieux eu égard à la place de l’islam en France, devenu la 2ème religion pratiquée.
  • mais parallèlement, il y a des « croyants » de l’idée laïque qui veulent confiner la religion à la seule sphère privée, soit neutraliser à tout prix de l’espace public
  • d’autres encore mettent en avant l’idée que la montée des religions mettrait en danger l’identité nationale.


En guise de conclusion

La laïcité est la promotion de l’égalité et de la liberté des religions. Toutes les religions ont droit à l’expression et en ce sens la sphère publique doit rester neutre ; aucune ne doit être privilégiée. Un agent de l’Etat ne doit pas, dans l’exercice de sa mission de service public, montrer sa croyance.

La laïcité est donc un bien commun.

 

Questions/discussion

 

L’article 1 de la loi de 1905 dit : «  La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». Comment l’intérêt de l’ordre public est-il pris en compte sans stigmatiser et être liberticide ?  

La loi de 1905 s’inscrit en ce début de XXe siècle dans une démocratie électorale et participative en formation et incomplète ; il n’y a pas alors encore de bloc de constitutionnalité, l’important pour le législateur étant d’assurer la liberté de culte. Par ailleurs, l’affaire Dreyfus n’est pas loin, d’où le rappel de l’intérêt de l’ordre public. Néanmoins, la laïcité fait partie intégrante des droits de l’Homme : c’est une débat initié dès 1789.

Peut-on poser la laïcité comme condition de la démocratie ?

La laïcité est politique. C’est une condition et une conséquence de la démocratie. Elle affirme l’égalité et elle permet un dialogue dans un esprit de tolérance. Il faut se départir d’une vision qui voudrait que la religion reste cloisonnée à la sphère privée. À quoi sert une liberté si elle n’est pas exprimée ? La laïcité n’oppose pas sphères publique et privée.

La laïcité est un principe évolutif, très fortement teintée de volonté politique. Elle a accompagné la construction de la démocratie française. Le lien entre laïcité et expression des libertés est très étroit. La laïcité porte le postulat que toutes les expressions religieuses sont légitimes à partir du moment où elles ne remettent pas en cause une autre liberté.

Il faut remonter le temps avec les élèves, bien montrer les matrices et donc la plasticité de ce concept en histoire. Exposer aussi que la laïcité a accompagné la démocratie. Il faut donc donner des clés d’entrée contextuelles aux élèves.

Peut-on parler d’un « retour des religions » ?

Peut-être parler plutôt d’un retour des identités qui peuvent passer par la religion.

La « montée de l’islam » est une illusion. On remarque plutôt une redistribution des cartes des religions, du fait notamment de la mondialisation, mais à lire dans des contextes et dans des espaces. Au-delà du développement de l’islam à prendre en compte, il ne faut assimiler islam et islamisme.

Dans le cas de l’Alsace-Moselle, quelle laïcité ?

Le Concordat est toujours actif et la loi de Séparation ne s’applique pas. L’Alsace-Moselle a une législation locale, exception confirmée en 1924. Le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle sont concernés. Le Concordat a été modifié par la législation allemande. Quatre cultes sont reconnus : catholique, protestants (luthérien et réformé) et juif. La nomination des ministres du culte est confiée au ministère de l’Intérieur et il y a un enseignement religieux à l’école. L’islam n’est pas reconnu, or 100 000 musulmans vivent dans ces départements. La Commission Jean-Pierre Machelon (juriste, auteur d’une thèse sur les libertés dans la République à la Belle Époque qui montre entre autres qu’il y a des lacunes importantes) a proposé un processus de reconnaissance du culte musulman et la mise en place d’une formation du personnel religieux. En 2012, le Conseil Constitutionnel a été saisi par l’association pour l’extension de la laïcité qui s’élevait contre le salariat des personnels religieux, sans succès. Le Conseil Constitutionnel insiste sur le caractère laïc de la République, mais sans remise en compte de certaines spécificités dans les territoires.

La charte de la laïcité est affichée dans tous les établissements scolaires : elle illustre que la question des libertés et de respect de la conviction de l’autre s’inscrit dans cohésion d’une communauté nationale.

Comment parler des fêtes religieuses en classe (quelques fois abordées par les élèves) ?

On doit accepter les convictions des élèves, donc partir de situations. Amener les élèves à exprimer leurs idées pour qu’ils se construisent une opinion en fonction de la norme et du droit. C’est l’un des objectifs de l’EMC.

Les interrogations sont à replacer dans le contexte de l’enseignement du fait religieux, de la présence des différentes religions à présenter.

Concernant les fêtes religieuses, il faut bien montrer qu’une nation s’est créée sur un substrat culturel qu’on ne peut effacer d’un coup de gomme et qu’on n’a pas non plus intérêt à effacer. C’est la « laïcité de l’intelligence ».

Que dire des signes ostentatoires à l’École ?

Il convient de faire très attention avec la loi de 2004. Il faut la replacer dans le contexte de « guerre des religions », que d’aucuns proclament et qu’il faut refuser, ne serait-ce que parce qu’elle n’existe pas. Nous nous devons de faire réfléchir sur le terme « ostentatoire », c’est-à-dire qui veut montrer voire prouver quelque chose. Ce qui est interdit, c’est le placard. Nous devons par ailleurs faire attention aux effets de mode de la part des élèves. Il faut construire un savoir pour fonder une culture partagée et expliquer et faire comprendre pourquoi la loi interdit l’ostentatoire. Dans ce cadre, il est impératif de toujours faire appel à la négociation. Mais pour nous, enseignants, nous avons une obligation de neutralité, donc de ne pas être dans le signe. Il convient également de toujours faire attention aux sources des supports documentaires que nous utilisons, notamment numériques. Le risque de prosélytisme existe.

Et qu’en est-il de l’Outre-Mer ?

La loi de 1905 n’a été appliquée qu’en 1911 aux Antilles. La Guyane est toujours sous le régime du Concordat (ordonnance de 1828), elle ne reconnaît que le culte catholique. L’évêque a le statut de rang A dans la fonction publique, 28 prêtres sont au rang B…

En application des décrets Mandel de 1939, tous les établissements religieux bénéficient de l’aide financière publique. Ces décrets s’appliquent en Polynésie, à Wallis, en Nouvelle-Calédonie. La leçon à en tirer est que la République a été capable de prendre en compte les caractères propres et les différentes évolutions historiques.

 

Bibliographie et sitographie indicatives

Abdenour Bidar, Histoire de l’humanisme  en Occident, Paris, Albin Michel, 2014

Abdenour Bidar, Plaidoyer pour la fraternité, Paris, Albin Michel, 2015

http://www.telerama.fr/idees/abdennour-bidar-philosophe-je-suis-convaincu-qu-existe-un-universel-humaniste,121931.php

http://www.franceculture.fr/personne-abdennour-bidar.html

Jean Baubérot, La laïcité, quel héritage ? De 1789 à nos jours, Genève, Labor et Fides, 1990. 

Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Paris, Le Seuil, 2004.

Jean Baubérot, Histoire de la laïcité en France, Paris, PUF (QSJ), 6e édition, 2013.

Jean Baubérot, Les laïcités dans le monde, Paris, PUF (QSJ), 4e éd. 2014.

Henri Pena Ruiz

http://blogs.mediapart.fr/blog/henri-pena-ruiz/011214/laicite-lettre-ouverte-aux-elus

Catherine Kintzler, Penser la laïcité, Paris, éd. Minerve, 2014.

http://edso.revues.org/1085

Delphine Horvilleur

http://www.telerama.fr/idees/le-rabbin-delphine-horvilleur-le-judaisme-liberal-est-minoritaire-en-france,115169.php

http://www.liberation.fr/societe/2013/10/11/ce-n-est-pas-aux-femmes-de-disparaitre-de-l-espace-public_938980

Emmanuel Naquet, Pour l’humanité. La Ligue des droits de l’homme de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

Vincent Duclert, La République imaginée, 1870-1914, Paris, Belin, 2010.

http://clio-cr.clionautes.org/la-republique-imaginee-1870-1914.html#.Vk337oTjgyJ

 

En pièces jointes : 

- Une petite vidéo introductive de l'intervention d'Emmanuel Naquet.

- Le texte de ce compte rendu en pdf.


 Un large éventail de ressources est à disposition pour faire vivre la laïcité avec les élèves:

1) En premier lieu, les articles de la Charte de la laïcité à l’École ont fait l’objet de plusieurs commentaires à visée pédagogique, disponibles sur le portail  Éduscol (http://eduscol.education.fr/laicite) d’une part, sur le portail Canopé (https://www.reseau-canope.fr/notice/les-valeurs-de-la-republique_7404.html) d’autre part. 

S’y ajoutent à l’occasion du 9 décembre 2015 un court film d’animation permettant de lancer le débat, qui sera disponible sur le portail education.gouv.fr (www.education.gouv.fr/laicite), ainsi que des pistes pédagogiques pour les cycles 2, 3, le collège et le lycée, consultables sur le portail Eduscol : http://eduscol.education.fr/cid96047/outils-pedagogiques-pour-le-9-decembre-2015-110e-anniversaire-de-la-loi-de-1905.html).


2) Interview de Florence Robine, Directrice générale de l'enseignement scolaire à propos du 110ème anniversaire de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. 

http://www.dailymotion.com/video/x3h8f0z_faire-vivre-la-laicite-avec-les-eleves-a-l-occasion-du-9-decembre_school



3)  le lien internet à diffuser autour des "Outils pédagogiques" mis en ligne sur Eduscol, afin d'accompagner la journée du 9 décembre. 
http://eduscol.education.fr/cid96047/outils-pedagogiques-pour-le-9-decembre-2015-110e-anniversaire-de-la-loi-de-1905.html 

4) A compter du 9 décembre 2015, la Bibliothèque nationale de France consacre une exposition au thème de la laïcité, à partir d’une iconographie issue de ses collections. Un site multimédia est déjà en ligne, qui propose les panneaux d’exposition en téléchargement, ainsi que des ressources complémentaires et des pistes pédagogiques (http://classes.bnf.fr/laicite).

5) un exemple pour faire vivre la laïcité dans nos établissements : un flash mob : https://www.youtube.com/watch?v=d_YnI6PWr0k

6) Une ressource vraiment riche et précieuse, très actualisée et réflexive à écouter à exploiter en DNL et en cours d’anglais… décomplexant linguistiquement par ailleurs. 

Histoire et Géographie 
Enseignement moral et civique