Histoire et Géographie

Le cours de l’Histoire Esclavage, une histoire plurielle - Posséder la terre, posséder les êtres : maîtres et esclaves aux Antilles françaises.

Emission : 2 mai 2024

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Les invités: 

Myriam Cottias Historienne du fait colonial, directrice de recherche au CNRS, directrice du Centre International de Recherches sur les esclavages et post-esclavages (CIRESC). Elle insiste sur le terme d’esclavisés, à privilégier pour parler des êtres et des personnes qui ont subi ce système mais ont aussi agi pour le combattre.

Morgane Honoré Doctorante en histoire contemporaine à l’EHESS. Elle s’est intéressée aux violences esclavagistes, particulièrement en milieu urbain.

Adélaïde Marine-Gougeon Agrégée d'histoire et doctorante en histoire contemporaine à Sorbonne Université. Sa thèse porte sur les Blancs créoles de la Martinique au 19ème siècle.

Mathilde Ackermann Doctorante en histoire à l’EHESS et à l’université de Bielefeld en Allemagne. Ses travaux portent sur la relation post-coloniale entre Haïti et la France et plus particulièrement la question des indemnités accordée aux colons propriétaires en 1825.

Résumé :

Les historiens et historiennes ont aujourd’hui la volonté d’appréhender les relations sociales entre maîtres et esclavisés, y compris après 1848. Si cette année marque une rupture importante, on constate que les structures de travail ne changent guère, de même que les représentations. La relation de servitude est en effet détruite, mais les maîtres demeurent les propriétaires de la terre et au bout de quelques mois, les choses rentrent dans l’ordre, comme en témoignent les sources utilisées (lettres du gouverneur, correspondance des colons).

  • Les bouleversements de 1848.

Les esclavisés cessent d’appartenir à leur maître et certains d’entre eux perdent tout (incendies des habitations à St Pierre par exemple). Les colons organisent eux-mêmes la répression et demandent ensuite réparation à l’Etat (en plus de l’indemnité accordée par l’Assemblée Nationale). En Martinique, l’annonce de la liberté met « le feu au poudre », mais le contexte était déjà séditieux. C’est aussi le contexte martiniquais qui précipite l’abolition en Guadeloupe le 27 mai. Chez les colons blancs, la peur d’un « égorgement général » est très présente. Le souvenir de l’insurrection de St Domingue est encore très vivace. On peut alors parler de retournement de la violence esclavagiste. 1848 est un moment de rupture pour les maitres comme pour les esclavisés qui redeviennent légalement des individus. Longtemps présentés comme une masse informe, sans nom, leur histoire est à reconstruire à travers notamment des biographies.

  • La volonté de maintenir l’ordre et la légitimation de la violence.

La volonté de contrôler et de réguler sont au cœur des sociétés esclavagistes. Dans les sources, on trouve par exemple plusieurs lois réglementant le Carnaval,  moment d’expression collective des esclavisés, qui revêt aussi une dimension politique. Il n’est jamais interdit mais les lois restreignent les possibilités (horaires des festivités, limitation des déboulés, interdiction de porter un masque etc.) car cela est vu comme une menace pour l’ordre esclavagiste.

Cet ordre est aussi racial puisque la position des individus est toujours liée à leur couleur. Les archives témoignent que le terme de « nègres », qui a imprimé les esprits, révèle une déconsidération qui perdure après 1848. Les sources différencient aussi Blancs et Créoles ; ces derniers sont composés de familles qui sont installées aux Antilles depuis le milieu du 17ème siècle. Elles cherchent à se distinguer des Français métropolitains. Leur mainmise sur le territoire est légitimée par leur ancienneté, c’est  l’élite de ces sociétés coloniales et esclavagistes. 

Rappelons que les maîtres ne respectaient pas le code Noir et exerçaient une violence qu’ils estimaient légitime. Pour eux, les esclaves étaient des biens et le travail qu’ils effectuaient leur appartenait (dans leur correspondance, les colons utilisent le pronom « je » pour parler du travail accompli). Cette habitude de domination ne disparaît pas après 1848. Un document émanant d’une blanche créole en Guadeloupe, au sujet de l’engagisme, fait par exemple mention d’« acheter un lot d’engagés ».

Cette violence concerne aussi les Libres de couleur, qui sont soumis à des formes d’exclusion violentes (ségrégation dans l’espace public, au théâtre, lors des processions religieuses, dans les cimetières…)

Ainsi, les « maîtres »  ne sortent jamais de cette mentalité coloniale même après 1848. Il faut donc parler de processus d’abolition car cela se fait dans le temps long.

  • Les circulations dans les sociétés esclavagistes

Les échanges (entre colonies et avec la métropole) permettent aussi d’éclairer les relations sociales. Il faut penser ces sociétés dans leur complexité. Elles s’inscrivent dans un cadre caribéen et américain. La Nouvelle-Orléans ou la Côte-Est des Etats-Unis sont en relation avec les Antilles françaises. Après l’indépendance d’Haïti, certains colons partent se réfugier à Cuba ou rentrent en France. D’autres s’installent avec leurs « esclaves » aux Etats-Unis. Malgré l’abolition, certaines personnes demeurent esclavisées.

  • La question des réparations.

Celle-ci est abordée à travers l’indemnité imposée à Haïti par la France. Elle est fixée à 150 millions de francs or (soit l’équivalent de 5 fois les recettes de l’Etat) en 1825, par une ordonnance du roi Charles X. L’impossibilité de payer cette dette a conduit l’Etat haïtien  à contracter plusieurs prêts, auprès des banques françaises mais aussi américaines. Myriam Cottias juge que la question des réparations coloniales est légitime mais que  la démarche doit être scientifique, s’appuyer sur des archives, des preuves, il faut sortir de la dimension morale et moralisatrice. Il ne s’agit pas de repentance ou de « wokisme ». 

En conclusion, nous pouvons affirmer que la société esclavagiste a été marquée par des violences, des peurs et des révoltes et que notre société contemporaine reste profondément marquée par cet héritage.

Place dans les programmes

- Classe de 4ème,

Thème 2 - L’Europe et le monde au XIXe siècle : conquêtes et sociétés coloniales

- Classe de 1ère Générale

Thème 2 – La France dans l’Europe des nationalités : politique et société

Chapitre 1. La difficile entrée dans l’âge démocratique : la Deuxième République et le Second Empire

Adaptation des programmes pour la Guadeloupe et la Martinique : on présente la seconde abolition à partir de l’exemple des Antilles (notamment le rôle des femmes dans les insurrections) et la difficile entrée dans l’âge démocratique d’une société post-esclavagiste (les inégalités sociales et de genre, les spécificités du travail).

Article de Cécile Borghino

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