Philosophie

L'identité en procès

Conférence-débat

proposée et animée par Jenner Bedminster

"L’identité en procès"

jeudi 27 février à 19h

"Casa del Tango" à Jarry, rue Alfred Lumière

 

Il arrive parfois que nous nous posions la question de notre identité « Qui sommes-nous ? » « Qui suis-je ? » Or nous croyons comprendre exactement cette question parce que nous disposons ordinairement de réponses simples lorsqu’elle est posée. Connaître l’identité de quelqu’un c’est pouvoir dire où il est né, quand il est né, ce qu’il fait dans la vie, qui sont ses parents ou ses amis, quelle est sa filiation, quelle est sa religion, etc. Pourtant, cette réponse remplace une authentique question d’identité par celle de l’identification. Qu’est-ce qu’identifier quelqu’un ? Identifier quelqu’un c’est lui demander, comme le fait par exemple la police, ses papiers d’identité. Identifier quelqu’un c’est être capable de déterminer à quel ensemble il appartient, de quel ensemble il fait partie : il est français, c’est un homme noir, il appartient à la communauté des professeurs, il est antillais, etc. Identifier quelqu’un c’est aussi le reconnaître comme étant numériquement le même individu sous des rubriques différentes. Par exemple, l’auteur du « Cynisme des chiens » est le même que l’auteur de « L’innommable Raphaël Confiant » et il est le même que l’organisateur du café-débat de la « casa del tango ». Quand donc je dis que je suis guadeloupéen, que je suis français, ou que je suis un homme ou une femme, je crois répondre authentiquement à la question de mon identité, celle de savoir qui je suis, alors qu’en fait je ne fournis qu’un critère d’identification, je me désigne comme « on » me désigne. Je ne suis alors qu’un exemplaire parmi d’autre. Pourtant, normalement, sauf cas de maladie grave, en me posant la question de mon identité à moi-même je ne semble pas chercher à savoir ce que m’indique mes papiers d’identité, comme si je devais me faire passer à moi-même un « contrôle d’identité ». En fait je pose une toute autre question, celle de mon identité personnelle. Par conséquent, si la question de l’identification se pose du dehors en troisième personne, elle porte en fait sur ce qui me constitue en tant que l’individu que je suis malgré moi ; en revanche lorsque j’en viens à me poser à moi-même la question de mon identité elle portera non pas sur l’individu que je suis mais sur la personne que je suis, et il est absolument impossible de la traduire en troisième personne sans la trahir profondément. Et c’est pourtant ce que l’on ne cesse de faire dans les « revendications identitaires » : identité ethnique, identité communautaire, identité régionale, etc. Toutes ces expressions désignent une appartenance à un groupe, à un ensemble (mathématique ?) dont je ne suis qu’un élément parmi d’autre. Cet ensemble lui-même ne parvient à s’affirmer dans son unité qu’en s’opposant à un autre ensemble, c’est l’opposition du même et de l’autre qui guide alors la quête de l’identité. C’est ce qu’on peut appeler le « piège » des revendications identitaires. Il convient donc de revenir, pour plus de clarté, à la question de l’identité en première personne et au lieu de la poser au niveau collectif, « qui sommes-nous ? » il faut d’abord la reposer à la première personne du singulier « qui suis-je ? ». Je me demanderais donc dans cette conférence ce que veut dire « identité » lorsqu’on l’utilise avec le possessif : « mon identité » et non pas « notre identité » « son identité » ou encore « ton identité ». Je la soumettrai à l’analyse en m’aidant des instruments de la philosophie. J’espère ainsi que la question de l’identité ainsi reconfigurée permettra de résoudre plus de problèmes qu’elle n’en soulève à son tour. Et en dissociant provisoirement les deux questions, celle de « mon identité » de celle de « notre identité », j’espère qu’on pourra obtenir les moyens de mieux s’orienter dans les questions d’identité collective, en évitant précisément les pièges de « la logique identitaire » qui s’apparente à une simple identification de préfecture de police.

Jenner Bedminster, février 2014