Avec la prochaine réforme du baccalauréat qui s'annonce, on peut se poser la question de savoir quel sera l'avenir de l'enseignement de la philosophie. On peut dors et déjà y réflechir en étant particulièrement attentif des directives du ministère mais on peut aussi s'intéresser à l'histoire de l'enseignement de cette matière. Hervé Boillot, Professeur de philosophie à rédigé un article sur l'histoire de la philosophie en France depuis 1945 et la question de sa démocratisation, dont voici l'introduction :
Le métier de professeur de philosophie fait preuve d’une étonnante constance, voire d’une grande immobilité, sinon dans la réalité des pratiques de classe, du moins pour ce qui est du travail qui est formellement prescrit. Depuis 1945 jusqu’à nos jours, les changements dans la société française ont été considérables notamment dans le domaine éducatif. Que l’on songe à la création d’un système éducatif unifié ; à l’ouverture de l’enseignement du second degré à un public beaucoup plus nombreux ; à la création de nouvelles sections et de nouveaux baccalauréats au sein des filières générale, puis technologique et professionnelle. Pendant toute cette période, les enseignants des différentes disciplines ont été régulièrement sollicités, d’abord par les autorités politiques et administratives et par leur inspection, pour réviser leur enseignement, tant dans ses contenus que dans ses méthodes, pour le rendre adéquat à ces vastes transformations des lycées et de leur public.
Les professeurs de philosophie ont résisté à ces sollicitations, défendant, et continuant de défendre, une conception traditionnelle de l’enseignement de philosophie, qui était en vigueur dans l’enseignement secondaire de la IIIe République. Par exemple, au moment où les autorités exhortaient les philosophes à renouveler leur discipline au contact des sciences humaines, en 1958, les inspecteurs généraux de philosophie réaffirmaient la totale actualité des instructions de 1925. Quarante ans plus tard, les professeurs s’arc-boutaient contre les projets qui prévoyaient de déterminer davantage le programme de philosophie, afin d’en harmoniser l’apprentissage, et de mieux préparer les élèves aux épreuves du baccalauréat : la représentation de leur métier de philosophes leur a fait refuser avec la dernière énergie une réforme qui faisait d’eux des professeurs enseignant une discipline scolaire comme une autre.
L’enseignement de philosophie au lycée, du fait de l’action collective de ses agents, a refusé de changer afin de s’adapter aux situations d’enseignement nouvelles crées par la démocratisation de l’enseignement secondaire, et notamment à un public plus nombreux, proportionnellement moins cultivé et maîtrisant moins la langue française. On peut le déplorer et considérer que la massification des effectifs du lycée n’est pas une réelle démocratisation. Mais ce jugement a surtout permis à la profession de donner une fin de non-recevoir à toutes les propositions qui lui étaient faites, de l’intérieur comme de l’extérieur, de démocratiser l’enseignement de la philosophie en tenant compte de l’augmentation et de la diversification considérables du public enseigné.
Le fait que les professeurs de philosophie n’interviennent qu’en terminale a créé un effet de position qui a joué à plein et renforcé la disposition à penser que c’était le rôle des niveaux précédents de la scolarité, et notamment à l’enseignement du français, de « faire le job » - faire acquérir aux élèves la maîtrise linguistique et culturelle requise pour bénéficier de l’enseignement philosophique – et que ce n’était pas à l’enseignement philosophique de le faire. Cet effet de position dans la division traditionnelle du travail pédagogique s’est accompagné d’une représentation collective, très prégnante dans la culture professionnelle, de la hiérarchie des disciplines, dans laquelle la philosophie vient « couronner », selon une métaphore célèbre, un enseignement secondaire traditionnellement voué aux humanités classiques.
Les caractéristiques institutionnelles de l’enseignement de philosophie – notamment sa position terminale - ont été naturalisées par le groupe professionnel en un ensemble de normes qui régissent les pratiques d’enseignement de la philosophie, normes qui sont présentées comme dérivées de l’essence même de la philosophie et des finalités de son enseignement : former des hommes qui pensent par eux-mêmes. L’idéalisme philosophique qui préside à ces représentations collectives a nourri un idéalisme pratique qui prédisposait peu les professeurs de philosophie à prendre conscience que l’enseignement de philosophie était une pratique sociale, comme telle déterminée. Ils sont restés attachés à la représentation flatteuse d’une discipline qui n’est pas comme les autres, et ont toujours bien plutôt cherché à justifier la représentation de l’exceptionnalité scolaire de la philosophie.
Toujours est-il que les professeurs de philosophie sont, de tous les spécialistes, ceux qui ont affiché la plus indéfectible fidélité aux principes, aux valeurs et aux manières d’enseigner qui étaient ceux de son institution républicaine originelle, en 1880. Pour cela, les professeurs, à travers leur association professionnelle la plus ancienne et la plus représentative, l’APPEP (Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public) n’ont pas hésité à engager souvent, tout au long de ces bientôt soixante-dix dernières années, un rapport de force avec les autorités politiques afin de contrer les projets de réforme démocratiques de l’enseignement philosophique – rapport de force souvent gagnant.
Avant d’en venir à une mise en perspective historique qui nous fera remonter jusqu’à la Libération, il nous faut d’abord exposer une donnée plus structurale : l’identité professionnelle du professeur de philosophie de lycée en France, identité savante et politique à la fois.
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