Mikkel Borch-Jacobsen, Apprendre à philosopher avec Freud, Éditions Ellipses, Coll. Apprendre à philosopher, 2018, 256 p.
Note de lecture de Jacques Van Rillaer - janvier 2019
Borch-Jacobsen, docteur en philosophie et professeur à l’université de Washington, est un éminent historien de la psychanalyse qui a travaillé aux Archives Sigmund Freud (Bibliothèque du Congrès). Il présente ici l’ensemble des conceptions freudiennes. Il détaille leurs sources philosophiques, scientifiques et psychiatriques. Il mène conjointement un examen épistémologique rigoureux. Il montre que Freud, qui se présentait sans cesse comme un positiviste s’en tenant à des observations, était en réalité un « penseur » qui n’arrêtait pas de spéculer, sans beaucoup de retenue, à partir de quelques faits.
Freud a certes produit des théories psychologiques, mais il est au fond toujours resté un « philosophe de la Nature » au sens romantique : il a élaboré une psychologie basée sur un mélange de biologie et de philosophie. Parmi les exemples ici développés, notons la prétendue « découverte » de l’inconscient. En fait, Freud a « construit » un type d’inconscient particulier, qui s’ajoute aux versions en circulation à son époque : un inconscient basé sur des interprétations hautement subjectives. Que le patient accepte ou refuse l’interprétation, celui-ci est considéré comme un témoin non fiable, qui fondamentalement ne sait pas ce qu’il énonce. Le psychanalyste estime que lui seul dispose du savoir vrai parce qu’il a fait une analyse didactique. Une question capitale est dès lors : qu’en est-il des différences d’interprétations des tenants des Écoles dissidentes ? Le concept de « refoulement », que Freud considère comme « le pilier de la psychanalyse », lui a permis d’expliquer, à très bon compte, toutes ces divergences d’interprétation de la même façon qu’il expliquait tous les troubles de ses patients.
Borch-Jacobsen passe en revue la pratique et la métapsychologie de Freud, notamment la fameuse théorie de la séduction et sa transformation en théorie du fantasme, le refoulement et le transfert, la sexualité infantile et l’Œdipe, les théories pulsionnelles, l’éternelle question de la suggestion (Freud avouant fournir des « représentations anticipatrices » pour aider le patient à trouver ce qu’il est censé « ignorer »), l’explication lamarckienne du « malaise dans la civilisation » – malaise attribué au sentiment de culpabilité soi-disant transmis depuis le meurtre du Père primitif par les frères ligués contre lui !
Borch-Jacobsen déconstruit l’idée courante que les conceptions freudiennes se sont sensiblement transformées au cours de sa carrière. À part la théorie de la séduction de 1895, Freud n’a quasi jamais abandonné une théorie. Il ne cherchait pas des faits susceptibles de réfuter ses hypothèses. Il ne cherchait que des confirmations et théorisait toujours plus avant. Par exemple, dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité, il fait des ajouts quasiment à chaque réédition (1910, 1915, 1920, 1924), mais n’élimine rien et pour cause : l’invocation de l’inconscient rend ses théories « irréfutables » au sens poppérien.
En (re)lisant Freud à la lumière de cet ouvrage, on en arrive à conclure qu’il a peut-être toujours cherché à être un maître de vérité, à « traiter des choses dernières, des grands problèmes de la science et de la vie », à « spéculer librement ».
L’ouvrage est écrit dans un style élégant, d’une parfaite clarté. Les références bibliographiques, abondantes, sont toujours données avec précision. Parmi les introductions récentes au freudisme c’est, à notre connaissance, la meilleure.
Nuage de mot