Former des enseignants réflexifs, mode d'emploi
Article de Pascal Jérome paru dans le Café Pédagogique le 2 juillet 2013
Faire réfléchir les enseignants sur leurs pratiques est-ce possible ? C’est la question que pose cet ouvrage collectif multipliant les analyses théoriques, les interviews et les enquêtes sur le terrain. La question peut sembler incongrue mais ce livre nous montre que les enseignants n’ont guère de goût pour se regarder pédaler, quitte à garder la tête dans le guidon et ne pas voir surgir les obstacles. Pourquoi ce refus ? Après avoir donné une définition et de nombreux exemples de la démarche réflexive, les auteurs nous tracent un portrait fidèle des nouveaux enseignants et analysent finement leurs résistances et les remèdes qui pourraient leur être apportées.
Qu’est-ce que la démarche réflexive ? De nombreux exemples concrets sont proposés au lecteur et analysés. Il apparaît que cette manière d’exercer le métier d’enseignant augmente l’efficacité de ses adeptes, tout particulièrement quand il s’agit de gérer des situations difficiles. Cette manière de réfléchir s’exerce avant, pendant et après la classe et se révèle capable de seconder toute la vie professionnelle du praticien jusqu’à devenir une posture habituelle. Il y gagne alors par ces « mises à distance » répétées de trouver un véritable sens à son métier, à ses responsabilités et de réelles satisfactions. Cette réflexion se trouvera secondée efficacement par des recherches théoriques, en particulier issues des sciences cognitives, qui permettront d’appréhender avec toujours plus de pertinence les situations d’apprentissage rencontrées.
Qui sont ces nouveaux enseignants auxquels on propose de réfléchir ? Leur portrait le plus exhaustif nous est donné par Pascal Guibert qui distingue les « héritiers » des « oblats ». Les héritiers parlent encore de vocation et de leur métier comme d’un « art de vivre ». Dans la classe ils recherchent et privilégient leurs semblables : les bons élèves. Persuadés que la maîtrise de leur discipline suffit à garantir leur savoir-faire ils sont peu soucieux de méthodes pédagogiques et d’innovation. Ils restent donc sourds aux formations professionnalisantes et aveugles aux invitations à réfléchir qui leur sont faites. A l’opposé on trouve les « oblats ». Plus intéressés par la pédagogie que par leur discipline les « oblats » sont ouverts aux conceptions modernes de l’école. Ils sont capables de répondre aux nouvelles exigences de l’enseignement de masse. Ils réservent donc un bon accueil aux propositions des formateurs.
Quelles sont les résistances opposées par ces nouveaux enseignants aux démarches réflexives ? Même si le degré de résistance doit être nuancé, on trouve des contestations récurrentes. Le principal reproche qu’ils font aux formations est leur manque de solutions pratiques. La théorie ne leur suffit pas, ne les intéresse que très peu, ils exigent des savoir-faire immédiats, des recettes. A ce reproche central s’ajoutent les inquiétudes suscitées par les discours divergents des formateurs qui pour certains montrent même peu d’enthousiasme pour les méthodes réflexives. De plus, la pratique du « journal de stage » oblige à affronter les difficultés de l’écriture et les difficultés que l’on peut ressentir à dévoiler ses sentiments, ses inquiétudes, ses échecs parfois.
Une enquête fort bien menée et illustrée d’exemples concrets nous montre que les enseignants expérimentés supposés favoriser la réflexivité des stagiaires ne sont pas aussi exemplaires qu’ils le devraient dans leurs méthodes et leurs attitudes. Préférant endosser la cape de l’enseignant modèle ils ne savent pas partager leurs propres inquiétudes. Plus savants que collègues, ils admonestent et critiquent plutôt que de prendre une réelle attitude de formateur. Autant dire que ces manières ne sont pas faites pour encourager les jeunes enseignants à réfléchir puisqu’on ne leur en donne ni les méthodes, ni le temps.
Mais l’obstacle certainement le plus grave opposé à la réussite d’une posture réflexive est celui que dresse l’institution dans l’anonymat de ses hiérarchies et les chuchotements de ses salles de professeurs. L’analyse impitoyable menée par Philippe Perrenaud nous démontre que réfléchir c’est douter et douter c’est poser des questions. Résultat, on interroge vite les dogmes, les tabous, les non-dits avec la naïveté du débutant jusqu’à réveiller l’agressivité des inquiets qui veulent que rien ne change. Et bientôt on finit par « ne plus penser ce qu’on a pas le droit de dire ». En un mot « soyez réflexifs mais ne troublez pas l’ordre des choses ».
Quels remèdes sont proposés par les auteurs ? La solution la plus souvent espérée est celle de l’arrivée de formateurs qui gardent un pied dans une pratique quotidienne de la classe et l’œil sur des connaissances théoriques solides. Alors le hiatus théorie-pratique serait atténué. Favoriser la contextualisation des théories voilà pour la plupart des contributeurs la condition nécessaire et quasi suffisante d’une diffusion de plus en plus étendue des pratiques réflexives. Nous pouvons donc dire que cet ouvrage nous apporte des outils de réflexion qui nous permettent naturellement de mieux réfléchir à nos propres pratiques, que nous soyons enseignants ou formateurs. Et ne perdons pas espoir dans les capacités réflexives des enseignants. Une enquête démontre que si, certes, au départ les enseignants tendent à faire appel à des pratiques traditionnelles, persuadés de leur supposée efficacité pour de « tenir leur classe » ; vient ensuite la question du sens de ce que l’on fait. Alors on revient sur ces pratiques, on les réfléchit et les étudiants retrouvent ces méthodes qui touchent non seulement la manière d’être de l’enseignant mais aussi l’efficacité de son travail.
Pascal Jérome