Changer le rapport à l’écrit en Education Prioritaire
Interview de Monsieur Christian CHERY
Formateur et enseignant de Lettres à l’ESPE de Guadeloupe, Université des Antilles
1.
Vous dites que « l’enseignant a son propre rapport à l’écrit », pouvez-vous développer vos propos ?
L’écrit comme la lecture sont activités culturelles. En ce sens, la manière d’approcher l’écrit sera spécifique à chaque enseignent selon son rapport à cet exercice.
2.
Comment concevez-vous la différence entre l’écrit et le rapport à l’écrit ?
L’écrit relève des généralités techniques, le rapport à l’écrit implique une forme de subjectivité, d’appropriation personnelle de chaque individu dans l’acte d’écrire.
3.
Quels sont les enjeux d’une maîtrise de l’écrit pour les élèves ?
L’écrit fait partie des pratiques sociales de référence et l’Ecole est le lieu de fixation de l’écrit. Il est nécessaire que les acteurs de l’institution se focalisent sur les difficultés d’écriture afin de rendre l’acte d’écrire plus aisé chez l’élève.
4.
Pensez-vous que privilégier uniquement l’écrit littéraire qui est le lieu de référence par excellence motive les élèves? Comment les motiver à changer leur rapport à l’écrit ?
La question est délicate selon que l’individu apprécie davantage les textes littéraires ou non. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir d’adhésion des textes littéraires sur nos élèves et se cantonner à l’horizon de leurs goûts supposés. C’est au contraire en leur proposant une grande variété d’activités et de niveau d’expression que l’on peut créer les conditions d’appropriation réussie.
5.
Que pensez-vous de l’utilisation des images comme supports en production d’écrit ?
Cette question demande une certaine réserve dans la mesure où la lecture de l’image ne répond pas aux mêmes codes que l’écrit. Partir de l’image comme support à la production d’écrit relèverait de « l’écriture analytique » qui est différent de la convocation de l’imaginaire pour d’écrire ou créer un objet.
6.
Pourquoi la liaison écriture/lecture est –elle essentielle ?
Ainsi que l’ont montré nombre d’écrivains, l’écriture et la lecture se nourrissent l’une l’autre. Il en va dans ce domaine comme dans celui de l’expression orale où alternent les phases de réception et de production.
7.
En quoi est-il nécessaire d’ouvrir les textes sur d’autres textes du patrimoine ?
L’étude de la littérature caribéenne est essentielle car elle met l’objet littéraire à portée du lecteur qui partage son quotidien. Il faut cependant lui associer l’étude de textes extérieurs à cette réalité et dont l’étrangeté stimulera l’imagination des élèves et nourrira leurs écrits.
8.
Proposer des textes longs ne contribue-t-il pas à augmenter la difficulté chez l’élève ?
Certes, aujourd’hui, le texte long est effectivement devenu un obstacle pour certains élèves. Il y en a qui lisent des textes longs et d’autres non. Cependant, pour ces derniers, il faut mettre en place un accompagnement de manière à leur permettre d’entrer progressivement dans les écrits longs.
9.
Une langue maternelle orale différente de la langue de l’école est-elle un frein pour les apprentissages ?
En aucune manière cette différence de langue n’est un frein. Il s’agit seulement d’être vigilant sur la distinction entre le Créole et le Français car souvent le locuteur mélange les deux idiomes. Il faut donc comprendre le fonctionnement de chaque langue, permettre à l’élève d’accéder à cette conscience linguistique de façon à maîtriser l’une et l’autre langue.
10.
La langue française est en mutation, même si on le voit un peu moins en Guadeloupe, elle côtoie de nombreuses autres langues et cultures, en plus des néologismes. Par rapport à cette évolution de la langue, l’école va-t-elle pouvoir relever le défi de rester dans un enseignement normé ?
La langue, comme toujours, est en perpétuelle mutation. Il convient de s’adapter à son évolution. La vraie question concerne le rapport de l’Ecole à la langue : comment gère-t-elle ces différents changements face à un public qui est en apprentissage ? En phase de correction de l’expression orale ou écrite, que faut-il accepter ou refuser ? L’attitude la plus souhaitable ne consiste pas à censurer mais à amener l’élève à réfléchir sur le fonctionnement de la langue afin qu’il comprenne les changements qui s’y opèrent et qu’il fasse un choix en pleine conscience car, malgré tout, il y a toujours une logique du fonctionnement de la langue. La pratique de la méta-cognition peut ainsi permettre de structurer l’approche des langues tout en évitant l’impasse d’une normalisation en décalage par rapport aux usages.
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